Le Val des Intouchables
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Le Val des Intouchables

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 Le Parc du Lac.

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Lazare
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Lazare


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MessageSujet: Le Parc du Lac.   Le Parc du Lac. Icon_minitime1Jeu 7 Aoû - 22:14

Un parc d'un calme merveilleux au sein d'une ville qui ne se repose jamais... les fleurs y sont magnifiques et les arbres centenaires. A croire que le sang est un engrais très efficace.

On vous lance un défi ou avez décidé de grimper dans la hiérarchie d'Ombre? Vous êtes au bon endroit. Mais prenez garde a respecter les règles ou un Cygne noir se chargera avec plaisir de vous raccourcir d'une tète.
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MessageSujet: Re: Le Parc du Lac.   Le Parc du Lac. Icon_minitime1Sam 29 Nov - 19:11

« Bordel ! Fais gaffe toi !
-…
-Excuse-toi, et magne.
-M’excuser ? Vous voulez que je dise « Désolé » ?
-Tu te fous de moi hein ? »

La foule morne et presque silencieuse s’écarta des deux protagonistes, l’un étant un homme de haute taille aux habits larges et épais, le second un citoyen d’ombre arborant une tunique noire aux fils d’argent. Manifestement aisé, vêtu avec un style sans prétention qui ne s’élevait pas au-dessus de sa condition quand l’autre ressemblait plus à un vagabond qu’autre chose.

« Ramène-toi ! lança le plaignant. Je te défie au Parc du Lac !
-J’accepte. »

L’homme avait jeté son défi avec violence, dans l’intention d’intimider. La réponse affirmative de Shizime, tranquille, renvoyée avec une spontanéité sereine, avait vraiment de quoi déstabiliser.

« Ah tu veux faire le malin, c’est ça ?
-Quel est votrre nom ?
-Ca te regarde peut-être !
-Shizime Antisärr.
-Hùm… Yerkàl Soldo, marchand.
-Allons-y. »

‘Tu crois m’avoir avec des politesses ?’ songea Yerkàl en lorgnant Shizime du coin de l’œil tandis que les deux bretteurs marchaient côte à côte vers le Parc, lieu de duel. Quelques badauds se détachèrent comme des fantômes du cortège lugubre de la population pour les suivre, mettant un peu plus la pression à Soldo qui s’en serait bien passé.

Le marchand détailla un peu plus son adversaire en franchissant l’entrée du parc. Shizime avait les yeux cachés par des lunettes aux verres sombres, comme pour un aveugle. ‘Que voit-il là-dessous, par l’Unique ?!’ Il ne voyait pas sa bouche couverte par le haut col du volumineux manteau, mais les muscles de son visage montraient qu’Antisär souriait.

Arrivés à un endroit convenable, les deux hommes se séparèrent de quelques pas. Un cygne noir vint s’interposer en qualité d’arbitre. Shizime le regarda, sachant qu’aux yeux du soldat, s’il savait son passé, il ne serait qu’un criminel à abattre, voleur et assassin. L’élite sentit le regard invisible du Noghris et tourna ses yeux vers lui. OmbreÉtoile sentit un frisson parcourir son échine.

Le militaire, dans son armure impressionnante au profil hérissé et prédateur, ressemblait à un rapace s’intéressant un instant aux vers fourmillant à ses pieds car il sentait la mort venir. Une fois le sang séché, il repartirait vers les cieux lui étant familiers, abandonnant un voir plusieurs cadavres dans son sillage funeste.

S’il était là, c’était uniquement parce qu’en cette heure un homme allait mourir.

Shizime détourna son regard opaque et le braqua sur Soldo. Le marchand venait de tirer une lame courte et fine, très légère. Que comptait-il faire avec… ?

Le Noghris porta la main à son dos et retira la grande cape qui était nouée en travers de son coup. Saisissant la poignée d’une large épée, il tira en dévoilant l’acier au jour maussade qui éclairait la cité. ‘T’zentàr Ariel’, la Larme d’En-Bas.

L’acier jeta des reflets durs et brillants au marchand, qui déglutit.


« Le duel peut commencer, observa placidement le cygne noir.
-Allons-y ! hurla le marchand, triturant nerveusement la garde de son arme.

‘Faible, impressionné. Ca ira vite…’

Shizime détailla attentivement l’homme. La trentaine, cheveux châtains. Un nez qui avait déjà dû être cassé une fois, des mains sans cals. Un sourire en lame de couteau éclaira bientôt son visage. Un sang qu’il ne connaissait que trop bien commença à rugir dans ses veines.

Un sang nouveau, charrié avec force. Un sang beaucoup plus rubescent que le précédent, vicié, souillé par la civilisation et l’air de la cité d’Ombre.

Il regarda le ciel noirci, aspirant plus librement l’air de ses poumons. C’était bon de vivre…

Ses doigts caressèrent les bandelettes de cuir recouvrant la poignée de T’zentàr Ariel. Il sentait la force de ses muscles souples, une puissance contenue par un barrage bien faible à cet instant. Une digue… ridicule.

Avec un long cri de bête, Shizime se jeta en avant. Levant haut sa lame, il était l’image voilée de la liberté de son peuple. Il n’aspirait, d’un seul coup, plus qu’à l’envie de dégager ce ciel empuanti, de le libérer de son nuage artificiel de pollution cendrée. Il ne désirait plus que le combat, frapper, déchirer. Pour un peu il s’en serait prit au cygne noir.

Il l’appelait… ‘Ah ! l’appel du combat…’


-Tiaah !

Le marchand cria quand l’acier mordit sa hanche, tranchant les muscles et laissant une traînée de sang jaillir dans l’air. Sa jambe ploya mais il battit l’air de son épée, faisant reculer Shizime qui avait en cet instant la gueule ouverte sur un rire muet derrière le col de son manteau.

‘Allez, viens humain… viens goûter à nouveau à cette douleur !’

Le marchand tituba un instant, le sang imbibant rapidement sa tunique. Pourtant, d’un mouvement circulaire meurtrier, Yerkàl attaqua le Noghris ricanant. L’épée courbe traça une estafilade dans le poitrail de l’homme-tigre, après avoir lacéré ses habits dans un grand bruit de déchirure. ‘Pathétique résistance… dans ton état !’

Profitant de la promiscuité de son opposant, Shizime détendit le bras et agrippa le col de son adversaire. La pointe de son arme vint mordre le bas-ventre pâle du commerçant, qu’éviscéra rageusement l’homme-tigre. Yerkàl hoqueta de douleur en saisissant d’une main le tranchant de T’zentàr Ariel, s’y coupant la paume.


-Je suis… un citoyen… de l’Unique ! rageait le marchand en s’appuyant désormais sur sa lame pour ne pas s’effondrer, tremblant, la gangue d’acier plongée dans son ventre. Tu m’entends ?! Un serviteur d’Ombre !

Il voulut atteindre d’un estoc l’épaule de Shizime qui balaya l’assaut du plat de la main, brisant la faible étreinte que maintenait encore Yerkàl sur son arme.

-Tu as perrdu, citoyen de l’Unique. Désolé.

Bagarreur de par ces années passées dans les quartiers mal famés, Shizime acheva l’homme d’un puissant coup de tête. Il s’affaissa en gargouillant au sol, le bassin déversant du sang à gros bouillons.

Le Noghris leva la tête vers le cygne noir, qui acquiesça.


-Le duel est fini. Quel est ton nom ? »
-Shizime Antisärr.
-Shizime Antisär, vois avec cet homme au bout du parc. Montre-lui cette insigne.

Le soldat sortit une épingle d’argent finement estampillée et la tendit à l’homme-tigre.

-Bien. »

Le militaire se détourna sans mot dire et vaqua à d’autres occupations. Silencieux, Shizime regarda l’épingle donnée puis le cadavre.

‘Voilà ce qu’apporte la mort à Ombre… une épingle qui veut dire que j’ai tué et que les possessions du perdant m’appartiennent.’

~


« N’oublie pas : ce qui lui appartenait est à toi. Ses biens, ses richesses, son entreprise, sa famille.
-Sa famille ?! grogna l’homme-tigre.

Sa tunique déchirée d’où suintait du sang lui donnait un air féroce.


-Je n’ai que faire de sa famille !
-Ecoute, mon bonhomme, c’est la loi. Tu sors d’où pour l’ignorer ?
-De la nature, murmura Shizime en se détournant et en se dirigeant à l’adresse indiquée.

~


-Oui ?

La jeune femme avait une peau pâle, un cou délicat. Sa chevelure aile-de-corbeau cascadait librement sur ses épaules menues et découvertes. Mais l’homme-tigre ne pouvait détacher son regard des deux prunelles émeraude le dévisageant d’un air interrogateur.

Comment devait-on réagir quand un homme, vêtu avec une lourdeur exagérée, se présentait à la porte de la maison, une plaie sur la poitrine et le visage à moitié couvert, avec d’épaisses lunettes masquant ses yeux… ? L’épée large dans son dos, même dissimulée sous sa vaste cape, lui donnait l’impression d’être un meurtrier.

‘Tu es un meurtrier…’

Sans dire un mot, Shizime tendit à la femme le papier attestant qu’il venait de tuer son mari en combat singulier, et donc qu’il venait de prendre sa place.

La citoyenne trembla en lisant la lettre formelle et cruelle. Ses lèvres tremblèrent mais elle se ressaisit, formant avec sa bouche des mots mais ne les prononçant pas. Antisär les devina facilement : « Je suis une citoyenne de l’Unique… je suis une citoyenne de l’Unique… »

‘Quel patriotisme ardent ! Quelle ferveur ! ne put s’empêcher de rire intérieurement le cynique Noghris. C’auraient pu être les derniers mots de ton mari, ma belle…’


-Entrez.

Elle s’effaça pour laisser entrer Shizime qui hésita une fraction de seconde. C’était ça, la loi ? Devoir s’incliner devant un meurtrier comme s’il était l’être aimé depuis toujours ? Mais quelle loi était-ce donc que celle-là, quel peuple que celui-là ?

Quelle femme que celle-là…

L’homme-tigre franchit le pas de la porte, intimidé par la force d’esprit de celle qui était juridiquement sa compagne.


-Je m’appelle Shahla Soldo.
-Quel était ton nom avant celui de Soldo ?
-Pou… pourquoi ?
-Soldo n’est plus.
-Je devrais prendre le vôtre…

Il resta un moment sans rien dire.

-Non. Réponds-moi plutôt.
-C’était Vym’ithyrii.
-Très bien, Shahla Vym’ithyrii. Tu m’appelleras Shizime Antisär.
-Shizime… Antisär… murmura-t-elle doucement en levant les yeux sur lui. L’homme-tigre se sentit mal à l’aise, comme si les iris d’un vert profond voyaient jusqu’au fond de lui-même rien qu’en prononçant son nom.
-Quel pouvoir dans votre voix, Shahla…
-Quel pouvoir dans votre nom, Shizime ! répliqua-t-elle.

Un vertige prit soudain Antisär, qui chercha des yeux un chaise. Avisant un fauteuil, il s’y laissa tomber en portant des doigts de cuir à ses yeux. Il maudit ces gants, cette étroitesse d’esprit des humains le forçaient à porter en permanence ce qui n’était rien de moins qu’un masque, en fait.

Xénophobie ? Envie ? Folie ? Bêtise ?

Tant pour une seule race… ça faisait décidément beaucoup.


-Shizime, ça va ?

Il releva les paupières pour voir Shahla, s’efforçant d’être attentive malgré la douleur qui devait lui serrer le cœur.

-Allez donc faire votre deuil, au lieu de dire des idioties, gronda-t-il. Une impression de surprise passa sur le visage de la jeune femme, puis une lueur de reconnaissance. Elle tourna les talons et disparut derrière une porte.

Soupirant, l’homme-tigre se renversa dans le fauteuil, tentant d’oublier la brûlure de sa blessure.
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MessageSujet: Re: Le Parc du Lac.   Le Parc du Lac. Icon_minitime1Sam 29 Nov - 21:51

Un contact sur son visage. Des doigts effleurant sa chair... Shizime ouvrit les yeux et happa dans le même mouvement la main de Shahla.

-Pas malin, ça.

L'homme-tigre apporta la main capturée jusqu'à son nez et huma délicatement la chair de la jeune femme. Une peau fruitée, à la saveur des amandes... l'appétit s'éveilla en lui, un appétit double. Il se retint d'happer cette main qu'il tenait dans la sienne. Cette main qui ne tremblait que légèrement alors que sa propriétaire se savait pouvoir la perdre au moindre caprice de Shizime...

Avec un geste de répugnance dont il ignorait lui-même la raison, l'homme-tigre rejeta cette viande offerte. Sa faim n'était ni normale ni correcte.

-Je suis dégoûté. Et je ne sais même pas pourquoi, soupira-t-il.
-Je ne suis pas à votre goût ? risqua Shahla dans une maladroite tentative d'humour.

Pris de doute, Shizime se leva brusquement et chercha un miroir. Son regard accrochant une grande glace posée contre un mur, il se planta devant et s'examina.

Les gants, le haut col, le manteau avec la croûte de sang... les lunettes !

Ses yeux d'un jaune-orangé, de félin, le fixaient avec une intensité qui l'effraya lui-même.

Livide comme seul un tigre pouvait l'être, il se tourna vers Shahla.


-Vous savez qui je suis.
-Qui n'a pas entendu parler depuis trois ans au moins de cette bête rôdant dans les bas-quartiers d'Ombre ? Une bête sauvage à l'aspect civilisé, capable de tuer pour un rien, à la logique incompréhensible. Au passé... mystérieux.

Tandis qu'elle prononçait ces mots, la jeune femme s'approchait du tigre d'une démarche envoûtante. Celui-ci la suivait des yeux, fasciné. Jusqu'à ce que les mains timides de Shahla viennent envelopper sa tête. L'homme-tigre se raidit alors, son corps craignant un coup mais son esprit se sachant n'être nullement ciblé par la citoyenne.

-Shizime Antisär... susurra-t-elle.

L'homme-tigre sentit ses sens flancher. Enivré par le parfum de sa chevelure, conquis par ce toucher frais et bienfaisant... les doigts fins de sa compagne juridique - qu'il haïssait ce contexte ! - appuyèrent sur sa nuque, dénouant leur crispation. Ses lèvres se traînèrent sur son cou.


-Pourquoi ce nom...

Shizime lutta contre la torpeur l'envahissant peu à peu. Ses mâchoires se crispèrent dans une démonstration d'efforts.

-Cesse de te battre... dis-moi juste pourquoi...

Après tout, elle ne voulait pas grand-chose... si !

La douleur envahit Shizime avec une amplitude monstrueuse. Il replongeait dans des souvenirs vieillis par ses yeux d'enfant d'alors. Il revoyait son maître le tenant à bout de bras...


-Quel nom dois-je te donner ? demandait-il. Shizime ne savait pas parler, aussi ne disait-il rien et regardait-il, flegmatique, l'humain se creuser la tête.

-Dis-moi pourquoi, Shizime, pourquoi ce Shizime...

-Shizime. Oui, Shizime sera ton nom.

-Shizime... murmura-t-il d'une voix sourde et rauque. Il m'a appelé comme ça.
-Voilà donc l'origine de ce nom, souffla Shahla en se laissant aller en arrière, l'air exténuée. Voilà pourquoi je ne te contrôle pas.

L'homme-tigre poussa un fauteuil derrière elle, dans lequel elle se laissa tomber avec un signe de tête en guise de remerciement.

-Jouons carte sur table, Shahla Vym'ithyrii. J'ai déjà eu affaire à des mages dans ma vie, et tu es la plus puissante de tous ceux-là.
-Merci du compliment, mais je dois avouer en retour avoir rarement croisé plus... intéressant que toi, Shizime Antisär, si c'est là le nom qui t'a été imposé.
-Merci, fit sèchement l'homme-tigre. Je propose que nous cessions ces mascarades. J'ai tué ton mari : tu ne l'aimais pas.
-Pas exactement... soupira Shahla. Je l'aimais, d'une certaine façon : il était sincèrement amoureux de moi. C'était quand j'étais une adolescente ; j'avais juste voulu qu'il m'admire... mais ma magie le condamna à m'adorer.
-Il n'y avait pas à forcer beaucoup, observa Shizime avec une mine appréciatrice.
-Peu importe. A présent il est mort et je crois avoir trouvé mieux que lui.
-Merci du compliment. Mais… rawr…

Shizime porta la main à sa plaie qui venait de se rappeler douloureusement à son souvenir. Shahla partit vivement chercher de quoi s’occuper de la blessure malgré les protestations de l’homme-tigre.

-Quel beau manteau, ironisa la jeune femme en le retirant et en passant le doigt le long de l’échancrure.
-Il m’a longtemps servi, oui. Mais ce n’est pas nécessaire de… ah ! de faire ça si brutalement !

La magicienne venait d’enfiler une aiguille sur une lèvre de la plaie.

-Vous êtes pas censée nettoyer la blessure d’abord ?
-J’ai fait des études de magie, pas de chirurgie…
-De boucherie ouais ! Laissez, je vais m’en occuper.
-Moi qui croyais que vous étiez un vrai mâle…
-Ca n’a rien à voir.
-Que si.
-Que non.
-Que si.
-Que non.
-Bon, très bien ! Occupez-vous en, si vous êtes si douillet !
-Seriez-vous douce, encore, que je ne dirai pas, mais là c’est de la torture !
-Taisez-vous.
-Jamais.
-Que si.
-Que non.
-Que si.
-D’accord.
-Que si. Je disais donc que…

La citoyenne croisa le regard pétillant de l’homme-tigre et hésita un instant entre l’indignation et l’amusement. Elle opta pour le second choix quand Shizime éclata lui-même d’un rire profond de gorge, qui fit saillir ses côtes avant qu’il n’hoquète de douleur.

-Vous devez vous trouver un autre nom, Shizime. Un vrai nom.
-Et pourquoi ça ? rétorqua distraitement l’homme-tigre en tirant sur le fil de l’aiguille. Son inattention n’était cependant qu’apparente, car au fond il buvait les paroles de Shahla.
-Je vais être franche, et je vous prie de me croire. Ce n’est jamais bon qu’un être porte un nom qui n’est pas le sien.
-De qui serait-ce le nom ?
-De personne, et encore moins de vous.
-Ca vous gêne surtout parce que vos sorts ont ainsi moins d’emprise sur moi.
-Croyez-moi, Shizime ! Je sens que… Elle s’interrompit.
-Que quoi ? releva l’homme-tigre.
-Que vous êtes prêt à devenir important pour notre nation. Selon moi, Ombre a besoin d’hommes tels que vous.
-Ah ! cracha sombrement Shizime. Des hommes tels que moi, hein ? Ombre me rejette depuis que j’y vis ! Les humains n’acceptent pas d’évoluer à côté d’un Noghris, encore moins de le socialiser. Alors, se laisser tracer une route par lui… !
-Vous n’y êtes pas. La plupart ont peur de vous, de votre force, de votre puissance.
-Ils me craindront encore plus si je monte dans la hiérarchie. Plus je grandirai, plus ils me jalouseront, jusqu’à se débarrasser de moi.
-Serait-ce de la peur, Shizime Antisär ? ricana Shahla.

L’homme-tigre tressaillit. De la peur ? Oui, c’était possible… comme cette fois où il avait failli se faire tuer à l’entraînement, alors âgé de dix ans et affrontant un jeune épéiste d’une vingtaine d’années. L’humain s’était moqué de lui, tétanisé par la peur. Il avait failli le décapiter dès le début du duel… mais Shizime, encouragé par son maître, la terreur devenue de la rage, avait tué l’homme.

Il avait peur d’avoir peur, car alors cette panique risquait de devenir celle qu’anime un chien acculé. Il mordait de toute sa nature sauvage.


-J’ai seulement peur d’avoir peur, Shahla.
-C’est que vous êtes ou un imbécile, ou un sage.
-Un imbécile pour Ombre, un sage pour le reste du monde, n’est-ce pas ?
-C’est bien possible. Mais que savez-vous du vaste monde, Shizime ?
-Juste que j’y suis né… chuchota-t-il.

Un silence s’installa. Shahla lui prit les mains.


-Faites-moi confiance.
-Comment pourrai-je ? Vous avez essayé de m’ensorceler, et maintenant vous me demandez d’abaisser ma seule protection ?
-Ne faites pas l’idiot. Je vous charmais déjà.
-Exact. Mais pas de la manière dont vous le pensez.

Shahla s’immobilisa à ces mots, puis lui lâcha les mains. Elle plongea dans ses yeux, interrogatrice, surprise. Que voulait-il dire… l’aimait-il ? Le coup de foudre… la belle et la bête ?

-Shizime. Vous… vous…
-Vous rougissez, Shahla.
-Hm ! Non. Pas du tout.
-Que si.
-Que non…

Cette fois-ci ils rirent ensemble, en même temps.

-Honnêtement, je ne sais que faire.
-Ecoutez-moi, alors. Trouvez un vrai nom. En porter un qui n’est pas le vôtre vous détruira, soyez-en sûr.
-Tenez-vous tant que ça à moi ?
-Moins à vous qu’à ce que vous allez faire.
-Vous bouffer ?
-Arrêtez de plaisanter, fit-t-elle, faussement exaspérée, sans pouvoir réprimer un sourire d’amusement. Ce sujet est sérieux.
-Moi aussi. Vous êtes à croquer.
-Shizime !
-Ouais, d’accord. J’y réfléchirai.
-Shizime…
-J’y réfléchirai, j’ai dit ! Que voulez-vous de plus ?
-Je… Hm. Je comprends.
-Merci bien… Bon, et maintenant, où je dors moi ?
-Avec moi, bien entendu.
-Hein ? Dans votre lit ?
-Où voulez-vous dormir à part là ?
-Sur le tapis.
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MessageSujet: Re: Le Parc du Lac.   Le Parc du Lac. Icon_minitime1Dim 30 Nov - 19:56

L'homme-tigre était allongé sur le tapis, la gueule en l'air.

-Il semble serein, à présent. Presque un enfant... comment a-t-il survécu avec un tel sommeil pendant tout ce temps dans les bas-quartiers ?

Shahla ne s'interrogea pas plus loin en repensant au moment où il lui avait attrapé la main quand elle l'avait effleuré. Ses réflexes n'étaient pas humains... des réflexes de Noghris. Une vivacité de bête. Pourtant, c'était loin d'être un simple animal à l'allure d'un homme. Oui, elle avait senti dans ses paroles une réflexion profonde, un sens du jugement qui n'était déjà pas commun parmi les citoyens d'Ombre. On aurait dit un homme fait tigre, et non l'inverse.

Un homme ? Parfois, elle avait l'impression qu'il était un vrai sage...

Sa propre érudition lui intimait que Shizime avait un grand savoir, bien qu'il l'ignorât. Ce n'était pas une somme de connaissance comme on l'entend généralement, mais plus un instinct qui relevait bien de la sagesse. Il savait ce qu'il y avait derrière les gestes, les mots. Il le sentait, à la manière d'un tigre peut-être ?

Le Noghris la fascinait. Commençait même à l'obséder.

Elle le regardait dormir, de ce sommeil presque candide. Le sommeil d'un lac paisible abritant les prémices d'un raz-de-marée, sans doute.

Sans faire de bruit, elle se leva et se mit à quatre pattes sur le tapis, s'approchant lentement de Shizime endormi. Qu'il le veuille ou non, il devait changer de nom. La magicienne lui prit le poignet.

Un éclair de souffrance traversa son esprit... elle ne voyait rien, n'entendait rien, mais ressentait tout. Elle savait... sans savoir. Elle ne devinait ni n'apercevait, mais savait. L'homme-tigre aurait un rôle à jouer, c'était certain, pour la gloire ou le mal d'Ombre. Sans doute l'heure venue choisirait-il... mais il ne pourrait l'accomplir que sous son vrai nom.

Et puis, si elle voulait l'utiliser à ses propres fins, elle devait bien le mener par la bride, et non avec juste une selle... Son Parlé était puissant, mais il avait ses limites.


-Shizime ! appela-t-elle en y mettant tout son pouvoir.

L'homme-tigre ne s'éveilla pas, pourtant son sommeil était différent. Avant, il était réparateur et profond, à présent il était plus intime encore mais surtout complètement surnaturel.


-Cherche au fond de toi, Noghris. Cherche, et trouve-s'y ton nom...

Comme on le lui demandait, l'homme-tigre plongea au fond de son être.

~

Il releva la tête. Il avait froid, extrêmement froid. Le vent hurlait en un bourrasque aussi fantasque que cruelle, le glaçant jusqu'aux os et mordant sa chair. Il se trouvait maintenant à flanc de montagne, un flanc battu par une brise puissante et destructrice. La neige volait en énormes paquets autour de lui dans une danse folle et insensée. Les rochers gelés gémissaient et projetaient des ombres difformes.

Le ciel, blanc, recouvert de nuages, ne laissait pas voir le soleil. Il jeta un oeil au précipice qui jouxtait ce chemin serpentant vers le col de la montagne. Une abîme insondable.


-Je suppose que je n'ai plus qu'à monter... marmonna Shizime.

Aussi emprunta-t-il ce chemin rude. La voie n'était pas fiable, et de nombreuses fois il faillit glisser quand la neige cédait sous ses pas chancelants, désireuse de le précipiter dans les dénivelés mortels. Mais chaque fois il se retenait, ou se laissait tomber pour ne pas chuter. Chaque fois il se relevait plus difficilement... mais plus déterminé.

Il changeait au fur et à mesure de son acensions. A l'égal de sa souffrance, il devenait plus dur, plus tenace. Mettant toutes ses forces pour avancer, pour gravir cette échelle de douleur. Voilà ce qu'il se disait : 'Plus haut que cette douleur... plus haut, toujours plus haut !'

Ses traits se figèrent en un masque déterminé et rageur. Presque haineux. Il serra les poings et les mordit pour chasser l'engourdissement. Ses pieds glacés ne le torturaient plus depuis longtemps.

Une voix tonna dans le ciel en furie.


-Pourquoi ?

Une voix grave et terrible d'importance justifiée. Lourde de puissance... d'immensité.

-Parce qu'il le faut !

-Est-ce une raison suffisante ?


-Je...

-Dans quel but endures-tu cela ?

L'hésitation gagna Shizime. Il sentit sa résolution faiblir... la voix avait raison. Pourquoi cette lutte absurde qu'il ne pouvait pas gagner de toutes façons ? Au fait, pourquoi était-il là ?

Ce fut comme si Shahla était à côté de lui, murmurant.


-Tu es appelé à servir Ombre, Noghris... pour le meilleur ou pour le pire. C'est ta destinée, tu n'y peux rien. Désolée.

C'est quand elle prononça cette phrase que la déchirure se produisit.

"Désolé."

Ce mot revêtait une importance et un sens particuliers aux yeux de Shizime. Une importance telle que Shahla ne pouvait l'imaginer... un sens tel qu'elle n'aurait pas su l'imaginer.


-C'est de ta faute ! rugit le Noghris en reprenant son avancée. Accusant la citoyenne et dirigeant sa rancoeur contre la montagne, il menait deux combats de front. Il le devait. S'il n'affrontait pas tous ces ennemis simultanément, il perdrait les deux batailles.

Il en était convaincu.


-Désolée, hein ?! Mais qu'ai-je à faire de tes excuses ? Les seules fois où quelqu'un s'est excusé dans ma vie, la mort ne rôdait jamais bien loin ! S'excuser, c'est mourir, Shahla ! vociféra-t-il en redressant la tête sous le souffle meurtrier de la tourmente.

-A quoi bon baisser les yeux et demander pardon ! Nos actes, nous devons les assumer, tous. Ou sinon c'est la mort ! Telle est la seule loi régissant le monde, Citoyenne de l'Unique ! Entends-tu ?!

C'était une sommation hargneuse et emplie de vérité.

-Tous nos actes ! Tous sont jugés, tous se ramifient en conséquences qui ne sautent d'abord aux yeux de personne, avant d'exploser en myriades d'étoiles brûlantes !

Le Noghris attint le sommet du pic en hurlant.

-Il faut assumer tous nos actes, Shahla ! TOUS !!

Dans cet ultime cri, l'homme-tigre mit tout son être, toute son âme. C'était un cri hideux de défi, de prédateur. Il y défiait quiconque ne serait d'accord avec cette affirmation. Il affirmait simplement sa position, mais le hurlement glaça Shahla.

L'ouragan s'était levé dans les profondeurs du lac, et à présent il cognait à grands coups sur la forteresse de son esprit mis à mal.


-Tu as gagné ton nom, fier Noghris.


Le ciel avait parlé...

-Le sais-tu ?
-Le sais-tu ? souffla en écho Shahla.

~

-Je le sais, grogna l'homme-tigre en s'éveillant.

Ses yeux fixèrent la citoyenne agenouillée à son côté. Dans l'obscurité de la nuit, Shahla eu la désagréable impression que deux tisons ardents s'étaient rivés à elle.


-Schare, murmura-t-il.

Vif comme un serpent, il enserra le cou de la citoyenne, la faisant suffoquer, et l'attira tout contre lui. Sa voix lui parvint aux oreilles en même temps que son sanglot :


-Schare CrocNoir...

Le Noghris, le corps parcourut de frémissements, ravala ses larmes en sentant Shahla tenter gauchement de le réconforter, lui passant la main dans le dos malgré ses toussotements d'étouffement. Schare consentit à déserrer sa prise, permettant à le jeune femme de se redresser.

-Schare Antisär CrocNoir... était-ce si difficile, Schare ?
-Peut-être. Le sais-je seulement ? murmura en réponse l'homme-tigre, des larmes dans les yeux.
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